- Il remonte � quand, le temps o� on s'est vraiment ennuy� ?
- T'en as pas marre, de tes questions, des fois ?
Un ciel bleu azur comme il n'est pas permis d'en r�ver, des collines verdoyantes � perte de vue, des briques rouges, jaunes et bleue : telle est la vue qui leur est pr�sent�e. Allong�s sur la p�ture, c'est le paysage qu'admiraient L�on et Barbara, le temps d'une apr�s-midi d'�t� ensoleill�.
Ils avaient l'habitude de se retrouver � cet endroit pr�cis, perch� au sommet de la plus haute colline du village. � leur droite, une petite �tendue de p�turage clairsem�e de petites p�querettes, de celles que l'on peut encore observer fleurir en paix. � leur gauche - majestueusement dress� tel le gardien de la vall�e, fier et droit bien qu'atteint par l'�ge - se tenait l'arbre symbole de toute une r�gion, le plus vieil �tre de ces environs. On l'appelait Hekima, l'�tre qui veille sur la vall�e. Mais il ne veillait pas que sur la vall�e puisqu'� l'occasion, il semblait servir de refuge pour L�on et Barbara, particuli�rement lorsque l'�t� se faisait chaud. Il avait la capacit�, de par son branchage sp�cifique, de pouvoir couvrir quiconque se pla�ait sur son tronc du soleil presque tout le jour. Ce lieu hautement strat�gique fut donc imm�diatement adopt� d�s sa d�couverte par nos deux lurons pour mener leurs exp�ditions extraordinaires et autres aventures ubuesques que seuls des jeunes de leur trempe pouvaient imaginer. Tant�t pirate de l'espace voguant de mers de feu en montagnes de glace, tant�t justiciers du futurs sauvant la Terre de la menace du Grand Arbre Vengeur, ils ne manquaient pas de ressources pour s'inventer des vies plus originales les unes que les autres. � l'�poque, Hekima, tout comme le reste de cette prairie nich�e au sommet de cet colline, faisait partie int�grante de ces romances imaginaires de jeunesse. � l'�poque, oui, parce que nous parlons d'un autre temps. Celui o� l'insouciance r�gnait en maitre dans les esprits de nos jeunes r�veurs. Celui o� la r�alit� n'avait aucune prise sur le moment pr�sent. Celui ce sommet de colline devenait un espace de cr�ation illimit� pour ces esprits qui ne voulaient qu'exprimer leur passion, librement. Pour eux, le temps a fait son office. Une chose en amenant une autre, ces instants de r�cr�ation commune se faisant de plus en plus rare, l'endroit perdit peu � peu sa fonction. Exit les aventures ubuesques, loin sont les exp�ditions extraordinaires. Sans la magie qu'apportait L�on et Barbara, cet endroit redevenait peu a peu le somme de la colline. � sa droite, une �tendue de p�turage. � sa gauche, l'�tre qui veille sur la vall�e. Mais l'amiti� qui liait ces deux jeunes ne ternissaient pas pour autant. Ils �taient rest�s proches, comme fr�res et s?urs, li�s � vie par ces moments partag�s sur le point le plus haut qu'ils connaissent. Leurs aventures les ont li�s, mais ce lien ne s'est jamais bris�. Il a �volu� avec le temps, tout comme nos jeunes. Ceux-ci ont profit� de cette �volution pour explorer d'autres facettes de leur vie. C'est ainsi que L�on s'est ouvert au sport et plus particuli�rement le tennis, qui lui procure un plaisir immense, et Barbara a pr�f�r� la musique. Pour autant, ils continuent de partager des moments ensemble, li� par cette exp�rience commune dont ils ne peuvent se d�partir. Ces moments ont chang�, mais restent tout aussi importants � leurs yeux.
Ainsi, il n'y a rien de surprenant � voir L�on, apr�s avoir pass� une matin�e d'�t� en position stationnaire dans son espace de vie, appeler son amie de toujours Barbara pour lui proposer une id�e plut�t os�e : revivre leurs aventures pass�es � l'endroit m�me o� elles sont n�es. Barbara, en entendant cette proposition, ne laissa m�me pas � L�on la chance de finir sa phrase pour acquiescer vigoureusement de l'autre c�t� du fil. C'est ainsi qu'ils se retrouv�rent couch� en dessous de Hekima, apr�s de nombreuses heures � revivre recr�er dans les moindres d�tails leur monde d'antan. Mais alors qu'ils �taient couch�s l�, � se rem�morer le bon vieux temps, l'atmosph�re changea subitement. L�on, pourtant tr�s jovial et investi au quotidien, devint d'un seul coup plus distant. Son regard se perdait dans le lointain, noy� dans les nuages qui semblait suivre le train lancinant d'une tortue en �veil.
- Non mais attends, tu n'y as jamais pens� ? Depuis qu'on est tout petit, on ne fait que de s'amuser?
Le temps de triturer fr�n�tiquement le brin d'herbe qui s'�tait gliss� entre ses doigts, L�on songea � la suite de sa phrase. Stopp� net par un flot de pens�es contradictoires, il s'arr�ta un instant, faisant aller son regard de la jeune fille vers le village en contrebas. Il prit le temps de contempler son village de naissance, l� o� il a toujours v�cu. Ce n'est qu'une petite bourgade en creux de vall�e. Rien de bien particulier ; il y a une �glise, une boulangerie, un fleuriste, une pharmacie, mais aussi une �cole et un h�tel de ville. Certes, un beau village, mais rien qui ne pourrait la distinguer d'un autre.
Tous les lieux de passage se rassemblaient au c?ur du village, d'o� partait une myriade de petites rues agenc�es telles des bras de c�phalopodes. C'est sur ces bras que l'on voyait, au loin, les villageois d�ambuler, semblables � des fourmis dans un terrarium. Ce village, bien qu'isol�, s'�tendait sur une surface qui recouvrait tout le contrebas. Seules quelques �mes audacieuses ont tent� de s'installer sur les flancs des vall�es l'environnant, cr�ant avec lui cette esp�ce d'�trange cavit� d'o� personne ne semble pouvoir s'�chapper. C'est cette vue que contemplait L�on, avant de s'affaler sur le sol, dans un mouvement qui trahit son esprit perturb�.
- Peut-�tre qu'on ne sait pas ce que �a veut dire, s'ennuyer.
- Moi, je m'ennuie souvent !
- Ah ouais ?
- Bah ouais !
- Non, mais? vraiment ?
- Bah oui ! � chaque fois que je dois manger avec papa et maman.
L'air d�sapprobateur que lan�a L�on envers Barbara avait t�t fait de glacer le sang de la jeune fille. Ce n'�tait pas dans ses habitudes de se montrer si s�v�re apr�s une blague de sa camarade de toujours. Cela en disait long sur ce que pensait L�on de la r�ponse de Barbara. N�anmoins, il laissait deviner derri�re ce regard dur une lueur de tendresse, comme un point de lumi�re dans la nuit. Peut-�tre �tait-ce une mani�re pour L�on de traduire sa compassion envers son amie ? Mais cet instant de d�tente ne vint pas � bout de l'absolue r�solution de L�on � poursuivre sa r�flexion.
- Je ne parle pas de �a, enfin .. Ce que je veux dire, c'est que �a ne devrait pas �tre normal d'�tre tout le temps heureux, �a ne peut pas durer �ternellement. Quel est le sens d'�tre heureux si on n'a pas connu ce que �a fait d'�tre malheureux une seule fois ?
- Quoi, tu veux �tre triste ?
- Mais non ! Je suis content de pouvoir �tre l�, � faire ce que je veux, quand je veux sans avoir � me soucier de quoi que ce soit. Peut-�tre que je veux juste sentir ce que �a fait de ne pas �tre tout le temps? mmmh?
- Stimul� ?
- Ouais, c'est �a? Il n'y a pas un moment o� on ne ressent pas une �motion positive, ici. Quand on se l�ve, on est content que la journ�e commence. Quand on mange, on est heureux de partager un repas. Quand on part pour l'�cole, tu te rappelles ? C'est comme si on partait � l'aventure, c'est g�nial ! Quand l'�cole est finie, on est content de pouvoir s'amuser avec les potes. Je veux dire ? m�me quand on dort, on r�ve ! Il ne se passe pas un moment o� on n'est pas stimul� par quelque chose de positif. Mais l�, le fait de me retrouver en haut de la colline, � regarder le village et tout ce ciel sans rien avoir � dire, j'ai eu l'impression de ressentir quelque chose. Mais quelque chose que je n'ai pas l'habitude de ressentir. C'�tait? diff�rent.
- Un peu comme des gazouillis ? J'ai �a, des fois?
L�on avait pris la d�cision d'ignorer ce trait d'esprit, bien qu'esquissant un l�ger rictus validant l'effet de sa question ; rictus que Barbara n'a pas manqu� de remarquer.
- Du coup, je me demandais si c'�tait �a, de r�ellement s'ennuyer.
- Bah super ! Dis tout de suite que je te fais chier !
- Je peux te garantir que non ! On vient de refaire toute une aventure des pirates de l'espace, et je ne m'en remets toujours pas. Mais est-ce que tu vois ce que je veux dire ?
- Je vois tr�s bien, L�on. Trop bien?
Le visage de Barbara se mit � se crisper imperceptiblement. Elle se mit, elle aussi, � contribuer � cette atmosph�re lourde qui se d�gageait du haut de la colline. Il y avait dans cette derni�re phrase comme le poids d'un aveu qui nous �chappe, une r�v�lation qui ne dit pas son nom. L�on l'avait bien compris ; Barbara tentait, depuis un moment, de dire quelque chose. Quelque chose qui la pesait, qui venait du plus profond de son �tre. Ces d�tours � travers des ressorts humoristiques n'en �taient que des r�v�lateurs, L�on en �tait convaincu. Mais il savait aussi que la lib�ration de ce poids ne pouvait pas venir de lui. Il savait que cela ne pourrait venir de personne d'autre qu'elle.
Un instant s'�coula, durant lequel nos deux amis n'�chang�rent aucun mot. C'�tait inhabituel, et paradoxalement, toutes deux sentirent le besoin de se taire, pour des raisons diff�rentes. Apr�s lui avoir laiss� un instant, L�on tenta une prise de parole mais se fit devancer par sa camarade.
- Tu sais, moi aussi, je pense que quelque chose cloche?
- Ah bon ?
- Et pourtant, je n'arrive pas � l'expliquer. C'est comme si on avait enferm� ici une partie de nous, et qu'une autre partie existait ailleurs, hors de ce village.
- Cette fois, c'est toi qui d�lires !
L�on partit sur un fou rire qu'il pensait partag�. Il se rendit vite compte de sa solitude en voyant que le visage de sa camarade se fermer. Il n'en fallait pas plus pour comprendre qu'il avait manqu� une occasion de se taire.
- Je ne suis pas vraiment s�r de te suivre?
- Pour tout te dire, �a fait longtemps que j'ai l'impression de ne pas me sentir compl�te, ici. Je ne manque de rien - et tu l'as dit -, je suis entour�e, j'apprends des choses, j'ai la libert�, je peux travailler ma musique, respirer un air pur? Et pourtant, c'est comme si je me sentais enferm�e par ce village, et qu'une partie de moi m'avait �t� retir�e � la naissance pour �tre emmen�e ailleurs, l� o� je ne la verrais pas. C'est �trange, non ?
- Pas tant que �a. C'est vrai que j'ai un peu ce sentiment, de temps en temps. C'est comme un souvenir qui m'arrive au moment o� je m'y attends le moins, qui me frappe d'un coup, puis s'en va. J'ai des moments qui me reviennent et que je ne pourrais pas d�crire, mais qui me laissent avec un sentiment nouveau et �trange � chaque fois. Ce sont des choses que je n'ai jamais ressenties avant, mais qui paraissent si famili�res?
Et alors qu'il pensait pouvoir finir sa phrase, une larme coula sur la joue de L�on. L'air de rien, il tenta de l'essuyer du bout du doigt mais cette larme fut suivie d'une autre. Il regarda son doigt pas encore sec de la premi�re larme essuy�e avec un regard d�sempar�, ne comprenant pas la situation. Il tenta de se tourner vers sa camarade afin de r�colter un soutien salvateur mais elle-m�me posait un regard de confusion sur ce qui se d�roulait devant elle.
- Mais L�on, qu'est-ce que tu fais ?
- Je ne sais pas, je ne comprends pas. Mon corps agit tout seul. Pourtant, je n'ai rien fait de sp�cial.
- T'as vu quelque chose de beau, hein ?
- Pas plus que d'habitude !
Tels des papillons emport�s par l'�lan du vent, il aura suffi d'un d�tour pour leur faire oublier l'aspect si �trangement m�lancolique de la situation. Les deux amis finirent par rire � pleins poumons. C'�tait la premi�re fois de l'histoire du village que quelqu'un pleurait. Comme le concept de douleur, de peine, de souffrance ou de chagrin n'existait pas, il �tait difficile pour les villageois de ressentir quelque chose d'autre que la joie. Voir quelqu'un pleurer n'est tout simplement jamais arriv�. Ce que venait de vivre L�on �tait encore inconnu, non seulement pour eux, mais aussi pour tout le village. Que faire quand l'inconnu vous frappe sans crier gare ? Bien que L�on et Barbara l'aie compris, ils se r�solurent sur l'instant � taire cet �trange apparition - d'abord pour �viter les interrogatoires en s�rie, mais aussi parce qu'ils venaient de partager un moment unique et qu'ils voulaient le garder pour eux.
- Ouah, c'est fou ! C'est comme un super-pouvoir, ton truc ! Si �a se trouve, tu peux le d�clencher � volont�, ce serait g�nial !
- Ouais, je ne suis pas s�r que ce soit �a, tu sais. En plus, on ne voit rien apr�s, c'est nul comme pouvoir !
Et comme le duo en a l'habitude, cette r�flexion se ponctua par des rires sans cesse plus intenses. Mais il n'en restait pas moins qu'avec leur discussion, ils avaient tous deux compris qu'une porte venait de s'ouvrir. Sans m�me se consulter, ils s'accord�rent pour continuer � discuter jusqu'� la tomb�e de la nuit, afin de voir ce qui les attend au bout de cette apr�s-midi remplie de surprises.
- T'en as pas marre, de tes questions, des fois ?
Un ciel bleu azur comme il n'est pas permis d'en r�ver, des collines verdoyantes � perte de vue, des briques rouges, jaunes et bleue : telle est la vue qui leur est pr�sent�e. Allong�s sur la p�ture, c'est le paysage qu'admiraient L�on et Barbara, le temps d'une apr�s-midi d'�t� ensoleill�.
Ils avaient l'habitude de se retrouver � cet endroit pr�cis, perch� au sommet de la plus haute colline du village. � leur droite, une petite �tendue de p�turage clairsem�e de petites p�querettes, de celles que l'on peut encore observer fleurir en paix. � leur gauche - majestueusement dress� tel le gardien de la vall�e, fier et droit bien qu'atteint par l'�ge - se tenait l'arbre symbole de toute une r�gion, le plus vieil �tre de ces environs. On l'appelait Hekima, l'�tre qui veille sur la vall�e. Mais il ne veillait pas que sur la vall�e puisqu'� l'occasion, il semblait servir de refuge pour L�on et Barbara, particuli�rement lorsque l'�t� se faisait chaud. Il avait la capacit�, de par son branchage sp�cifique, de pouvoir couvrir quiconque se pla�ait sur son tronc du soleil presque tout le jour. Ce lieu hautement strat�gique fut donc imm�diatement adopt� d�s sa d�couverte par nos deux lurons pour mener leurs exp�ditions extraordinaires et autres aventures ubuesques que seuls des jeunes de leur trempe pouvaient imaginer. Tant�t pirate de l'espace voguant de mers de feu en montagnes de glace, tant�t justiciers du futurs sauvant la Terre de la menace du Grand Arbre Vengeur, ils ne manquaient pas de ressources pour s'inventer des vies plus originales les unes que les autres. � l'�poque, Hekima, tout comme le reste de cette prairie nich�e au sommet de cet colline, faisait partie int�grante de ces romances imaginaires de jeunesse. � l'�poque, oui, parce que nous parlons d'un autre temps. Celui o� l'insouciance r�gnait en maitre dans les esprits de nos jeunes r�veurs. Celui o� la r�alit� n'avait aucune prise sur le moment pr�sent. Celui ce sommet de colline devenait un espace de cr�ation illimit� pour ces esprits qui ne voulaient qu'exprimer leur passion, librement. Pour eux, le temps a fait son office. Une chose en amenant une autre, ces instants de r�cr�ation commune se faisant de plus en plus rare, l'endroit perdit peu � peu sa fonction. Exit les aventures ubuesques, loin sont les exp�ditions extraordinaires. Sans la magie qu'apportait L�on et Barbara, cet endroit redevenait peu a peu le somme de la colline. � sa droite, une �tendue de p�turage. � sa gauche, l'�tre qui veille sur la vall�e. Mais l'amiti� qui liait ces deux jeunes ne ternissaient pas pour autant. Ils �taient rest�s proches, comme fr�res et s?urs, li�s � vie par ces moments partag�s sur le point le plus haut qu'ils connaissent. Leurs aventures les ont li�s, mais ce lien ne s'est jamais bris�. Il a �volu� avec le temps, tout comme nos jeunes. Ceux-ci ont profit� de cette �volution pour explorer d'autres facettes de leur vie. C'est ainsi que L�on s'est ouvert au sport et plus particuli�rement le tennis, qui lui procure un plaisir immense, et Barbara a pr�f�r� la musique. Pour autant, ils continuent de partager des moments ensemble, li� par cette exp�rience commune dont ils ne peuvent se d�partir. Ces moments ont chang�, mais restent tout aussi importants � leurs yeux.
Ainsi, il n'y a rien de surprenant � voir L�on, apr�s avoir pass� une matin�e d'�t� en position stationnaire dans son espace de vie, appeler son amie de toujours Barbara pour lui proposer une id�e plut�t os�e : revivre leurs aventures pass�es � l'endroit m�me o� elles sont n�es. Barbara, en entendant cette proposition, ne laissa m�me pas � L�on la chance de finir sa phrase pour acquiescer vigoureusement de l'autre c�t� du fil. C'est ainsi qu'ils se retrouv�rent couch� en dessous de Hekima, apr�s de nombreuses heures � revivre recr�er dans les moindres d�tails leur monde d'antan. Mais alors qu'ils �taient couch�s l�, � se rem�morer le bon vieux temps, l'atmosph�re changea subitement. L�on, pourtant tr�s jovial et investi au quotidien, devint d'un seul coup plus distant. Son regard se perdait dans le lointain, noy� dans les nuages qui semblait suivre le train lancinant d'une tortue en �veil.
- Non mais attends, tu n'y as jamais pens� ? Depuis qu'on est tout petit, on ne fait que de s'amuser?
Le temps de triturer fr�n�tiquement le brin d'herbe qui s'�tait gliss� entre ses doigts, L�on songea � la suite de sa phrase. Stopp� net par un flot de pens�es contradictoires, il s'arr�ta un instant, faisant aller son regard de la jeune fille vers le village en contrebas. Il prit le temps de contempler son village de naissance, l� o� il a toujours v�cu. Ce n'est qu'une petite bourgade en creux de vall�e. Rien de bien particulier ; il y a une �glise, une boulangerie, un fleuriste, une pharmacie, mais aussi une �cole et un h�tel de ville. Certes, un beau village, mais rien qui ne pourrait la distinguer d'un autre.
Tous les lieux de passage se rassemblaient au c?ur du village, d'o� partait une myriade de petites rues agenc�es telles des bras de c�phalopodes. C'est sur ces bras que l'on voyait, au loin, les villageois d�ambuler, semblables � des fourmis dans un terrarium. Ce village, bien qu'isol�, s'�tendait sur une surface qui recouvrait tout le contrebas. Seules quelques �mes audacieuses ont tent� de s'installer sur les flancs des vall�es l'environnant, cr�ant avec lui cette esp�ce d'�trange cavit� d'o� personne ne semble pouvoir s'�chapper. C'est cette vue que contemplait L�on, avant de s'affaler sur le sol, dans un mouvement qui trahit son esprit perturb�.
- Peut-�tre qu'on ne sait pas ce que �a veut dire, s'ennuyer.
- Moi, je m'ennuie souvent !
- Ah ouais ?
- Bah ouais !
- Non, mais? vraiment ?
- Bah oui ! � chaque fois que je dois manger avec papa et maman.
L'air d�sapprobateur que lan�a L�on envers Barbara avait t�t fait de glacer le sang de la jeune fille. Ce n'�tait pas dans ses habitudes de se montrer si s�v�re apr�s une blague de sa camarade de toujours. Cela en disait long sur ce que pensait L�on de la r�ponse de Barbara. N�anmoins, il laissait deviner derri�re ce regard dur une lueur de tendresse, comme un point de lumi�re dans la nuit. Peut-�tre �tait-ce une mani�re pour L�on de traduire sa compassion envers son amie ? Mais cet instant de d�tente ne vint pas � bout de l'absolue r�solution de L�on � poursuivre sa r�flexion.
- Je ne parle pas de �a, enfin .. Ce que je veux dire, c'est que �a ne devrait pas �tre normal d'�tre tout le temps heureux, �a ne peut pas durer �ternellement. Quel est le sens d'�tre heureux si on n'a pas connu ce que �a fait d'�tre malheureux une seule fois ?
- Quoi, tu veux �tre triste ?
- Mais non ! Je suis content de pouvoir �tre l�, � faire ce que je veux, quand je veux sans avoir � me soucier de quoi que ce soit. Peut-�tre que je veux juste sentir ce que �a fait de ne pas �tre tout le temps? mmmh?
- Stimul� ?
- Ouais, c'est �a? Il n'y a pas un moment o� on ne ressent pas une �motion positive, ici. Quand on se l�ve, on est content que la journ�e commence. Quand on mange, on est heureux de partager un repas. Quand on part pour l'�cole, tu te rappelles ? C'est comme si on partait � l'aventure, c'est g�nial ! Quand l'�cole est finie, on est content de pouvoir s'amuser avec les potes. Je veux dire ? m�me quand on dort, on r�ve ! Il ne se passe pas un moment o� on n'est pas stimul� par quelque chose de positif. Mais l�, le fait de me retrouver en haut de la colline, � regarder le village et tout ce ciel sans rien avoir � dire, j'ai eu l'impression de ressentir quelque chose. Mais quelque chose que je n'ai pas l'habitude de ressentir. C'�tait? diff�rent.
- Un peu comme des gazouillis ? J'ai �a, des fois?
L�on avait pris la d�cision d'ignorer ce trait d'esprit, bien qu'esquissant un l�ger rictus validant l'effet de sa question ; rictus que Barbara n'a pas manqu� de remarquer.
- Du coup, je me demandais si c'�tait �a, de r�ellement s'ennuyer.
- Bah super ! Dis tout de suite que je te fais chier !
- Je peux te garantir que non ! On vient de refaire toute une aventure des pirates de l'espace, et je ne m'en remets toujours pas. Mais est-ce que tu vois ce que je veux dire ?
- Je vois tr�s bien, L�on. Trop bien?
Le visage de Barbara se mit � se crisper imperceptiblement. Elle se mit, elle aussi, � contribuer � cette atmosph�re lourde qui se d�gageait du haut de la colline. Il y avait dans cette derni�re phrase comme le poids d'un aveu qui nous �chappe, une r�v�lation qui ne dit pas son nom. L�on l'avait bien compris ; Barbara tentait, depuis un moment, de dire quelque chose. Quelque chose qui la pesait, qui venait du plus profond de son �tre. Ces d�tours � travers des ressorts humoristiques n'en �taient que des r�v�lateurs, L�on en �tait convaincu. Mais il savait aussi que la lib�ration de ce poids ne pouvait pas venir de lui. Il savait que cela ne pourrait venir de personne d'autre qu'elle.
Un instant s'�coula, durant lequel nos deux amis n'�chang�rent aucun mot. C'�tait inhabituel, et paradoxalement, toutes deux sentirent le besoin de se taire, pour des raisons diff�rentes. Apr�s lui avoir laiss� un instant, L�on tenta une prise de parole mais se fit devancer par sa camarade.
- Tu sais, moi aussi, je pense que quelque chose cloche?
- Ah bon ?
- Et pourtant, je n'arrive pas � l'expliquer. C'est comme si on avait enferm� ici une partie de nous, et qu'une autre partie existait ailleurs, hors de ce village.
- Cette fois, c'est toi qui d�lires !
L�on partit sur un fou rire qu'il pensait partag�. Il se rendit vite compte de sa solitude en voyant que le visage de sa camarade se fermer. Il n'en fallait pas plus pour comprendre qu'il avait manqu� une occasion de se taire.
- Je ne suis pas vraiment s�r de te suivre?
- Pour tout te dire, �a fait longtemps que j'ai l'impression de ne pas me sentir compl�te, ici. Je ne manque de rien - et tu l'as dit -, je suis entour�e, j'apprends des choses, j'ai la libert�, je peux travailler ma musique, respirer un air pur? Et pourtant, c'est comme si je me sentais enferm�e par ce village, et qu'une partie de moi m'avait �t� retir�e � la naissance pour �tre emmen�e ailleurs, l� o� je ne la verrais pas. C'est �trange, non ?
- Pas tant que �a. C'est vrai que j'ai un peu ce sentiment, de temps en temps. C'est comme un souvenir qui m'arrive au moment o� je m'y attends le moins, qui me frappe d'un coup, puis s'en va. J'ai des moments qui me reviennent et que je ne pourrais pas d�crire, mais qui me laissent avec un sentiment nouveau et �trange � chaque fois. Ce sont des choses que je n'ai jamais ressenties avant, mais qui paraissent si famili�res?
Et alors qu'il pensait pouvoir finir sa phrase, une larme coula sur la joue de L�on. L'air de rien, il tenta de l'essuyer du bout du doigt mais cette larme fut suivie d'une autre. Il regarda son doigt pas encore sec de la premi�re larme essuy�e avec un regard d�sempar�, ne comprenant pas la situation. Il tenta de se tourner vers sa camarade afin de r�colter un soutien salvateur mais elle-m�me posait un regard de confusion sur ce qui se d�roulait devant elle.
- Mais L�on, qu'est-ce que tu fais ?
- Je ne sais pas, je ne comprends pas. Mon corps agit tout seul. Pourtant, je n'ai rien fait de sp�cial.
- T'as vu quelque chose de beau, hein ?
- Pas plus que d'habitude !
Tels des papillons emport�s par l'�lan du vent, il aura suffi d'un d�tour pour leur faire oublier l'aspect si �trangement m�lancolique de la situation. Les deux amis finirent par rire � pleins poumons. C'�tait la premi�re fois de l'histoire du village que quelqu'un pleurait. Comme le concept de douleur, de peine, de souffrance ou de chagrin n'existait pas, il �tait difficile pour les villageois de ressentir quelque chose d'autre que la joie. Voir quelqu'un pleurer n'est tout simplement jamais arriv�. Ce que venait de vivre L�on �tait encore inconnu, non seulement pour eux, mais aussi pour tout le village. Que faire quand l'inconnu vous frappe sans crier gare ? Bien que L�on et Barbara l'aie compris, ils se r�solurent sur l'instant � taire cet �trange apparition - d'abord pour �viter les interrogatoires en s�rie, mais aussi parce qu'ils venaient de partager un moment unique et qu'ils voulaient le garder pour eux.
- Ouah, c'est fou ! C'est comme un super-pouvoir, ton truc ! Si �a se trouve, tu peux le d�clencher � volont�, ce serait g�nial !
- Ouais, je ne suis pas s�r que ce soit �a, tu sais. En plus, on ne voit rien apr�s, c'est nul comme pouvoir !
Et comme le duo en a l'habitude, cette r�flexion se ponctua par des rires sans cesse plus intenses. Mais il n'en restait pas moins qu'avec leur discussion, ils avaient tous deux compris qu'une porte venait de s'ouvrir. Sans m�me se consulter, ils s'accord�rent pour continuer � discuter jusqu'� la tomb�e de la nuit, afin de voir ce qui les attend au bout de cette apr�s-midi remplie de surprises.